Noms de Familles et Noms de Lieux

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La Vieille Morte

 La Vieille Morte

 

 

Dans Les Causses Majeurs, page 115, Edouard Alfred Martel décrit l’arc rocheux de la Baousse del Biel  sur le Causse Méjan : « Ce pont naturel, ouvert à 755 mètres d’altitude (à 355 mètres au-dessus du Tarn), mesure 40 mètres de hauteur totale, dont 27 sous voûte sur 25 d’ouverture. »

Il l’interprète, d’après l’occitan bauç, « précipice boisé du vieux (du grand-père) ». Daniel André nous fait part de sa contribution à l’enquête menée par Jean Delmas au sujet des enjambées de géants et particulièrement de son hypothèse (volontiers adoptée)  où le géant est ici le Diable, conformément à une des acceptions de vièlh dans les Cévennes.

Il cite également la Montagne de la Vieille Morte en Lozère, entre Saint-Germain-de-Calberte et Saint-Etienne-Vallée-Française.

 

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La légende de la Vieille Morte

 

 

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A cette montagne s’attache la légende d’une habitante des environs de Saint-Germain-de-Calberte, en Lozère : une femme d’un certain âge qui eut un enfant après son veuvage. Cette « veuve joyeuse » fut condamnée par la méchante fée du mont Mars à arracher de ses mains une énorme pierre et à errer sans fin avec son enfant, la pierre, son chien et son âne jusqu’à ce qu’elle atteigne le sommet de la montagne où l’attend la mort.

Ce chemin de croix est balisé de toponymes qui rendent compte de ce supplice : le Mont des Laupies (du gévaudanais laupia, grande pierre plate) ; le Plan de Fontmort (où on lit enfant mòrt, prononcé « efont mort »), où son enfant est mort ; Cros del Chi (« trou du chien »), où le chien est tombé ; Négase (nega ase, noie l’âne), site au sud de Saint-Germain-de-Calberte, sur un affluent du Gardon de Saint-Germain, où l’âne s’est noyé ; La Pierre de la Vieille évoquant la légende ; et d’autres encore…

 

 

Expansion nationale des « vieilles mortes »

 

On retrouve un lieu-dit Vieille Morte dans le nord de la Lozère, dans la commune de Ribenne, près de Rieutord-de-Randon, au sud d’un pic dominant la vallée de la Colagne.

Dans le Gard, Le Planas et Vieille Morte se trouve dans une zone montueuse et boisée, dans la commune de Tharaux, près de Saint-Ambroix.

Et à y regarder de plus près on s’aperçoit que l’expansion de ce toponyme en France dépasse largement le légendaire local.

On rencontre  une dizaine d’occurrences du toponyme Vieille Morte sur la carte IGN au 25 000e concernant les pays d'Oc : outre la Lozère et le Gard, on peut citer également le Pont de Vieille Morte et le ruisseau des Vieilles Mortes dans la commune de Salavas (Ardèche), Vieille Morte à Salsigne dans l’Aude et La Croix de Vieille Morte dans la commune de Riotord dans la Haute-Loire. Au pluriel, on a le ruisseau des Vieilles Mortes à Murviel-lès-Béziers dans l’Hérault, et à Damiette, dans le Tarn.

Avec inversion Morte Vieille, on a La Mortevieille dans la commune de Saint-Arcons-de Barges, dans la Haute-Loire et le ruisseau de Morte Vieille à Saint-Julien-Labrousse, dans l’Ardèche.

Et la récolte des « vieilles mortes » est plus importante encore en pays d'Oïl : on trouve des Vieille Morte en Vendée, dans les Deux-Sèvres, la Charente-Maritime et la Charente, la Vienne, le Cher, l’Allier, la Nièvre, la Côte-d’Or, la Saône-et-Loire et l’Isère. En gros, l’expansion du toponyme épouse une large bande barrant la France du Centre d’ouest en est, correspondant aux anciennes provinces de Poitou, Saintonge, Touraine, Marche, Nivernais, Bourgogne, nord Dauphiné.

Font exception les Vieille Morte de la Seine-et-Marne, l’Yonne et l’Aisne concernant  la Champagne.

 

 

 

Des lanternes des morts

 

 

 

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A l’origine de nos Vieille Morte, nous verrions volontiers des vigilae mortis, des lanternes des morts : au début, édicules à lumière (flamme entretenue) marquant la présence d’un cimetière, et, par la suite, phares terrestres pour guider le voyageur égaré.

Il est révélateur que nombre de départements où l’on conserve ces lanternes (sous formes de tourelles ajourées à leur partie supérieure) sont cités ci-dessus avec un ou plusieurs toponymes « Vieille Morte »1 (Deux-Sèvres, Charente, Charente-Maritime, Vendée, Vienne, Allier).

Le latin vigilia signifiait « veille, sentinelle, poste de garde ». Et ses descendants toponymiques sont devenus des « vieilles ». Par exemple, le Puech de la Vieille dans l’Aveyron (commune de Lavernhe-de-Sévérac, à l’est du Puech du Pal = poteau-limite entre les anciens cantons de Sévérac-le-Château et de Vezins-de-Lévézou), montagne en pointe à versants pentus ; le Montagne  de la Vieille, dans la Saône-et-Loire, montagne à flancs pentus et étroite table sommitale, dominant d’une centaine de mètres la commune de Cuzy ; peut-être enfin, en Savoie, le Pic de La Vieille Femme, dans la commune de Pralognan-la-Vanoise.

Et surtout le phare de la Vieille, en Bretagne, dans le Finistère, sécurisant le passage du Raz de Sein. Construit en 1882-7, son nom montre que très anciennement une construction a eu lieu sur le rocher en mer.

Vigilia associé à mortis a donné « Vieille Mort » qui ne signifie pas grand-chose, d’où « Vieille Morte ».

Dans l’Aveyron, commune de Mostuéjouls, au sud de la limite avec la Lozère, on a le hameau de Bellevieille et à l’est, Mortes Vieilles. Ici une « veille », une « belle veille »2, un édicule lié à la proximité de la frontière entre Rouergue et Gévaudan, est associé à une lanterne des morts, une « vieille morte ». Ici la Vieille Morte est devenue Morte Vieille (suivant l’ordre Fontaine belle > Belle fontaine) dans le parallélisme avec Bellevieille qui se trouve 1 km à l’ouest.

Bien entendu, tout cela est un schéma général qui n’a rien de contraignant et ouvre sur bien d’autres hypothèses. Ainsi les ruisseaux de Vieilles Mortes paraissent plutôt représenter d’anciennes mares, d’anciens étangs (Marcel Lachiver dans son Dictionnaire du Monde rural, parle de « mortes » au sens d’eau stagnante, anciens bras de rivière).

 

1.  A noter toutefois qu’aucun toponyme Vieille Morte ne se trouve dans le site de l’un de ces édicules.

2. La carte de Cassini (1774-75) connaît le lieu sous le nom de le Vialet vielle, ce qui paraît montrer confusément que velha « veille » non compris, a donné « vielle » se surajoutant à une Viale ici distinguée d’une autre par le diminutif -et, d’où Vialet. En fait, c’est Viale qui a fait école, d’où Viale Vielle devenu Viale Vieille prononcé « Bialo Bieillo » puis par assimilation – dissimilation « Bèlo Bieillo » = Belle Vieille.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



21/06/2017
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