Noms de Familles et Noms de Lieux

Noms de Familles et Noms de Lieux

Le nom de Millau à la recherche de ses racines

Le nom de Millau à la recherche de ses racines

 

 

Conférence donnée par Jacques Astor le 25 février 2011 à 18 heures 30 sous l’égide de la Société d’Etudes Millavoises, au CREA.

 

 

Le nom de Millau a fait couler beaucoup d’encre. Depuis « mille eaux » jusqu’à Emiliavu en passant par Mediolanum les hypothèses se sont succédé, tout au moins à l’époque des grands frémissements intellectuels où le pire côtoyait le meilleur. L’hypothèse Amilius / Aemilius a fini par satisfaire le plus grand nombre et les Dictionnaires de toponymie se sont fait l’écho de cette solution qui en fait, à y regarder de plus près, est consentie au prix d’une mise entre parenthèses d’un mode de dérivation peu habituel pour un nom d’homme latin fût-il porté par un Gaulois : le suffixe -avum. Pourquoi Amilius se serait-il fait une spécialité, et lui seul, de cette suffixation gauloise ? C’est la question que posera le conférencier. Cette question avait déjà été posée lors d’une conférence donnée le 14 septembre 1996, à la Salle des fête de Millau, lors de l’Assemblée générale du Cercle Généalogique du Sud-Aveyron.

  • C’est aujourd’hui avec de nouvelles données que le toponymiste peut aborder le problème et donner enfin une nouvelle racine propre à lester de manière plus équilibrée et plus sûre la mémoire interne du nom de Millau.

 

 

 

 



 

 

 

Notre propos, aujourd’hui, va consister à poser la question de l’étymologie du nom de lieu MILLAU. Et se poser la question signifie ne plus être en accord, le cas échéant, sur l’étymologie reconnue et indiscutée depuis des lustres parmi les toponymistes, de l’anthroponyme latin Amilius.

 

 

Hypothèses anciennes

 

Le nom de Millau a anciennement fait couler beaucoup d’encre. Jules Artières s’est fait en son temps l’écho de diverses hypothèses souvent fort ingénieuses. Reprenons les rapidement pour mémoire. Une solution farfelue basée sur la prononciation « milo » donnait le français « mille eaux » pour évoquer l’abondance des eaux dans notre vallée. Elle met l’accent sur les problèmes posés par le nom de notre ville aux locuteurs éloignés de nos horizons qui, de manière inattendue, ne lisent pas le « ill » comme on le lit pour « fille » ou « vanille » mais pour « ville » ou « mille ». Ce serait donc pire encore si l’on avait lh graphie traditionnelle occitane inconnue du français et pourtant bien partagée dans la toponymie méridionale. Pensons à Paulhe, Drulhe, Noailhac et Vailhourles qui ne manquent pas, pour cette raison, d’être mal prononcés. Quant à Paulhan de l’Hérault dont parle Jules Artières, je suis désolé de vous apprendre que les gens de l’Hérault disent Paulan. 

 

 

 

 

 

 

- On a pensé à Ab amygdalis « des amandes » par références aux amandiers qui, à époque passée, émaillaient les versants des causses. La réalisation de cette hypothèse n’aboutit en fait qu’à Ametlal > Amellau. 
- Après le chemin des muletiers qui aurait abouti à quelque chose comme Muillons / Millons / Millous, je vous fais grâce de la suite car vous aurez compris que tous les avantages de Millau (les eaux, l’arboriculture, la voie commerciale avec le Midi et plus) vont y passer.

- Sera-t-on plus sérieux en s’adressant à l’histoire ? L’hypothèse Amilius / Aemilius est abordée mais pas sous l’angle linguistique dans le but de donner à Millau un illustre fondateur. On convoqua pour ce faire le consul Quintus Fabius Maximus vainqueur chez nous des Rutènes, des Arvernes au nord et des Allobroges au-delà du Rhône. Il aurait donné le nom de sa famille les Emiliens à notre ville de Millau qui aurait été une antique Emilianum. Le problème est que ce dernier était de la famille des Fabiens et qu’il y avait confusion avec Quintus Fabius Maximus Aemilianus qui, 30 ans auparavant, était proconsul en Espagne et concluait une paix habile avec Viriate à la tête des Lusitaniens (Portugais). Il fallut abandonner l’idée d’un illustre fondateur.

- On abordera enfin une approche linguistique du toponyme avec l’abbé Rouquette qui envisagea un composé Mediolanum, composé de medio « au milieu » et lanno- « plaine » (plaine du milieu) représenté par le nom de Milan, en Italie. De sens peu clair, il paraît signifier « place centrale », « place de choix » pour désigner un établissement durable d’une population gauloise. Le tribunal de Miejasolas (le milieu du fond de la vallée) où siégeait la juridiction réglant les différends entre les communautés de Creissels et de Millau, n’aurait pas dénoncé ce sens. Jules Artières à la suite de Lucien Massip, membre de la Société des Lettres et auteur d’articles de toponymie, a penché pour cette hypothèse. Le malheur est que les produits connus du composé Mediolanum sont très loin de la forme Millau : il faut citer Méolans dans les Alpes-de-Haute-Provence ; Miolans dans la commune de Saint-Pierre-d’Albigny en Savoie ; ou bien encore Mioland de la commune d’Amplepuis, dans le Rhône. Mais ad Fontem Milanum pour Millau de la commune de Pennautier dans l’Aude est bien là pour montrer que le rapprochement a déjà été fait au XIIIe siècle.

- La parole est enfin demeurée à l’onomastique en pleine possession de ses méthodes. Albert Dauzat, l’abbé Ernest Nègre et Alexandre Albenque ont adopté le nom d’homme latin Amilius / Aemilius pour des raisons purement linguistiques parce qu’il était donné par les formes anciennes et non plus par référence à un illustre fondateur. Alexandre Albenque parle d’un obscur citoyen rutène. Nous parlerons d’un affranchi gaulois tenancier du domaine qui, comme cela était souvent le cas, avait pris le nom de la famille romaine qui l’avait libéré du statut d’esclave. Obscur mais pauvre pas pour autant puisque la villa gallo-romaine était un véritable village avec terres et habitants aux métiers très diversifiés. Le nom d’AEmilius se retrouve en tant que nom d’affranchi devenu citoyen romain sur l’estampille de poterie de la Graufesenque : Q. (pour Quintus, le prénom) AEmilius.

 

 

Présentation d’Amilius  :

 

Selon Frank Hamlin, Amilius est une variante attestée d’AEmilius, anciennement Aimilius, rattaché au grec aimilos en tant que cognomen évoquant la douceur du caractère et connue avec la gens Aemilia qui donna des consuls célèbres.

Amilius est représenté aujourd’hui par la forme féminine Amélie (parallèle donc à Emilie) et par le nom de famille Amiel (parallèle à Emile d’introduction savante) connu dans les départements de la bordure méditerranéenne : l’Aude, l’Hérault, les Bouches-du-Rhône, le Var et à l’intérieur des terres : principalement la Haute-Garonne, le Tarn et l’Aveyron.

On rencontre assez couramment Amilius en tant que nom de tenancier gallo-romain (bien plus souvent « gallo » que « romain ») de villas qui se poursuivent de nos jours par des noms de communes ou des noms de fermes ou lieux-dits.

On peut citer , dans la commune de Servian (Hérault), le domaine d’AMILHAC où l’on observe le nom de personne Amilius dérivé avec le suffixe –acum hérité du gaulois pour désigner la propriété de quelqu’un, comme on aura plus tard –ariá pour la Martinariá, francisé en –erie : La Martinerie. Le a initial s’est couramment maintenu en domaine d’Oïl où le –acum gaulois a donné –y en lieu et place de notre –ac, d’où les Amilly, noms de communes de l’Eure-et-Loir et du Loiret, et les lieux-dits Amilly de la Charente-Maritime et de l’Orne et les très nombreux Milly : 5 communes dont Milly-le-Forêt dans l’Essonne et Milly-La-Martine dans la Saône-et-Loire ; et 15 noms de fermes, hameaux et lieux-dits qui présentent l’aphérèse du a initial.

 

 

La chute du a initial :

 

En domaine occitan, le a initial a toujours été fragile et est le plus souvent tombé après mécoupure due à la confusion avec la préposition a ou avec l’article la. D’où les nombreux MILLAC anciens Amillac. Dans l’Aveyron, on peut citer (avec lh) Milhac nom de hameaux des communes de Calmont-d’Olt, Villeneuve, Toulonjac et Moyrazès ; avec ill Millac, hameau de la commune de Saint-Christophe-Vallon. Il faut encore noter Lou Millac de la commune de Castelnau-de-Mandailles qui présente une interprétation de la mauvaise coupure La Millac masculinisée en Lou Millac. Hors de l’Aveyron on peut citer les communes de Millac dans la Vienne, Milhac du Lot, Milhac d’Auberoche et Milhac de Nontron dans la Dordogne et 11 lieux-dits, fermes et hameaux.

 

 

Le nom de famille Amilhau, Milhau, Millau

 

 

 

Les noms de familles issus du nom de la ville se font le témoignage de ce phénomène d’aphérèse. On observe, au siècle dernier, plus d’une centaine de naissances sur le plan national sous le nom de famille AMILHAU (la forme avec 2 l a aujourd’hui disparu) qui est connue avec des effectifs à peu près semblables dans l’Aveyron (avec foyers de fréquence à Taussac, Brommat, Mur-de-Barrez et dans le sud-Aveyron à Réquista), le Tarn, le Tarn-et-Garonne et prend en écharpe le grand Sud-Ouest. Une forme AMILHAUD, moins connue encore (avec un d final analogique du suffixe –aud, celui de garrigaud « qui habite dans la garrigue », celui de dormiaud « dormeur »), est surtout présente dans le Cantal, mais aussi dans l’Aveyron, particulièrement à Mur-de-Barrez en tant que variante de Amilhau.

 

 

 

 

Le nom de famille issu du nom de la ville a suivi le même sort : il a perdu son a initial. La forme MILLAU, avec aphérèse du a et deux l, est modestement connue (un peu plus de 200 naissances pour toute la France) et a l’Aveyron pour département de référence avec des foyers de fréquence dans le sud-ouest-Aveyron : par ordre d’importance, Saint-Affrique, Belmont-sur-Rance, Montagnol, Brusque, Millau, Tournemire. L’Hérault fait aussi figure de département d’expansion démographique pour les porteurs de ce nom. On doit aussi compter le Lot-et-Garonne.

 

 

 

Mais la forme la plus connue (on peut presque dire 10 fois plus connue) est MILHAU avec lh : 1839 naissances sur le plan national. Ce n’est plus l’Aveyron qui est, dans ce cas, département de référence mais l’Hérault en tant que département d’immigration. Il cumule 511 naissances dont une bonne part enlevée à l’Aveyron qui, au 2e plan, en totalise 255 toujours localisées dans le sud-ouest-Aveyron (Saint-Sever-du-Moustier, Saint-Affrique, Belmont-sur-Rance, Millau, Murasson). Ces localisations montrent que l’expansion du nom de famille est départementale et déborde sur les départements environnants, en particulier l’Hérault. Il y a donc également, par contrecoup, des noms de lieux issus de ces noms de familles : La Grange de Milhau à Bessan, le Causse de Millau à Rouet, Milhau ferme en ruine à Laurens (sur la carte de Cassini), un autre Millau dans la commune de Pézenas, ne sont pas pris en compte dans notre recherche qui se base sur des formes assez anciennes pour exclure l’implantation d’un nom de famille ou bien sur une topographie des lieux fort parlante.

 

 

 

Les noms de familles avec d final analogique des nom et épithète en -aud : MILLAUD (avec 2 l) et MILHAUD (avec lh). Absent de l’Aveyron, il est surtout connu sur toute la façade méditerranéenne : surtout Hérault et Bouches-du-Rhône, mais aussi Aude, Pyrénées-Orientales, Gard, Var, Alpes-Maritimes. Un tout petit peu moins répandu (393 naissances pour 433) Millaud suit la façade méditerranéenne. Il faut voir, sur ces formes du XIXe siècle, l’influence de la graphie de Milhaud du Gard.

Et ailleurs, principalement dans la Vienne, MILLAULT présente la variante –ault de –aut issu de la racine germanique waldan « commander ». Parmi les formes les plus rares, c’est encore ce patronyme qui, avec 60 naissances sur le plan national et 40 dans la Vienne, a encore quelque vitalité.

D’autres formes ont disparu ou sont proches de l’être :

ainsi de MILLAUT connu dans le Lot-et-Garonne et la Gironde, avec t final, variante du d ainsi de MILHAVY, forme relatinisée en –i graphié y, et souvenir du –ius latin qui n’exista qu’à quelques exemplaires à Millau même.

Et le dérivé MILLAVÉS, francisé en MILLAVOIS, qui renvoie également au suffixe -avum ;

sans omettre le nom de famille MILLAUDOIS qui prend déjà en compte la forme fautive en -aud.

Voici donc, dans leurs grands traits, présentés les éléments dont nous disposons pour analyser le problème de l’identification de la racine. Voici donc, dans leurs grands traits, présentés les éléments dont nous disposons pour analyser le problème de l’identification de la racine.

 

 

Les formes anciennes renvoyant à Amilius

 

Pour Millau, les formes anciennes Amiliavense (912), Amilianensi (1061), Ameliano (1079), in Amiliavo de 1079, Amiliano (1204), Amiliani (1249), renvoient à Amilius. Dans le Tarn, MILHAVET, commune du canton d’Albi située au nord-ouest de cette ville, donne une forme Amiliavo identique en 1261. Ce n’est que plus tard, au XVIe siècle, en 1585, que le toponyme se distingue de son homonyme aveyronnais, avec le -et diminutif de Milhavet : « le petit Millau ». Quant aux formes anciennes en ancien occitan, elles nous sont de peu de secours : MILHAUD du Gard a une forme ancienne Amiliau de 1112, en langue romane qui ne nous enseigne rien de plus. De même, la forme ancienne Melhau (1373) de MEILHAUD du Puy-de-Dôme est trop évoluée pour appuyer ou infirmer l’hypothèse Amilius / Aemilius approuvée aussi bien par le Dictionnaire des Noms de Lieux de France de Dauzat & Rostaing que par La Toponymie générale de la France d’Ernest Nègre. Jusque-là rien ne vient troubler le bel ordre de l’interprétation par Amilius. Mais la discussion va s’instaurer, en premier lieu, autour du suffixe –avum.

 

 

Le suffixe -avus

 

Ce suffixe est peu répandu en onomastique latine et l’anthroponymie ne s’y ouvre qu’à Octavus où –avus est un suffixe numéral : le huitième ; il s’agir de l’ordre de naissance : le huitième enfant. Il l’est un peu mieux en onomastique gauloise. Il est présent dans quelques noms de tribus gauloises : les Vellaves (Celtes du Velay), leurs voisins les Ségusiaves (Celtes de Ségusie : le Forez), les Andecaves (Celtes d’Anjou), les Pictaves (Celtes du Poitou). On relève quelques toponymes gaulois de la Table de Peutinger qui comporte Condatemagos : Pisavis (Salon-de-Provence), Matavo, Matavone (Cabasse, commune du Var), porté Patavi sur l’Itinéraire d’Antonin. Le Corpus des Inscriptions latines donne quelques noms dérivés en -avus : Iccavos, Itavus, Ivavus. Evaux-les-Bains rappelle le nom du dieu Ivavus. Parmi les noms communs, on connaît surtout *kaliavo qui a donné l’occitan calhau « caillou ». Et la toponymie de la France ne nous donne que quelques occurrences de noms dérivés en -avum, en tout une dizaine, où le radical parfois discuté, est bien souvent gaulois : par exemple Chatou dans les Yvelines, sur le nom d’homme gaulois Cattus (sur catto, combat). Outre les dérivés du supposé Amilius / Aemilius, E. Nègre ne cite dans sa Toponymie générale de la France, pour le domaine occitan, que ANTONAVES des Hautes-Alpes sur Antoninus > Anton(i)n- > Anton-, et MARNAVES du Tarn sur Marinus > Mar(i)n- > Marn-, mais dont la latinité et la nature du radical est discutable. En somme, si l’on en suit la Toponymie générale de la France de Nègre et le Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France de Dauzat & Rostaing, il n’y aurait que Amelius pour faire exception pour notre bonne ville de Millau, pour Milhaud du Gard, Meilhaud du Puy-de-Dôme, Milhavet du Tarn et bien d’autres attestations toponymiques du nom de Millau.

Les notaires médiévaux, ceux que l’ont a accoutumé d’appeler les scribes en langage de linguistes, ont senti le problème en jugeant que le v était une mauvaise lecture du n : d’où Amilianensi de 1061 à côté de Amiliavense de 912, Ameliano (1079) Amiliano (1204) Amiliani (1249) alignant ainsi Amelius sur le gentilice Aemilianus, le nom de la famille des Emiliens. Ce qui aurait donné Millan et non Millau. On peut même observer le nom du domaine de Millau, dans la commune de Puisserguier, dans l’Hérault, pour lequel nous verrons tout à l’heure que la topographie des lieux (très caractéristique) ne permet guère de doutes, et qui pourtant a régulièrement présenté des formes anciennes depuis le XIIe siècle, le rattachant à Emilianus et aurait dû donner Millan. Ici comme bien des fois ailleurs, c’est la tradition orale qui a fini par avoir raison du problème alors que la tradition écrite continuait sur sa lancée.

Le problème posé aux greffiers médiévaux l’est toujours et encore aux toponymistes : pourquoi Amelius se serait-il fait une spécialité de cette dérivation rare et gauloise ?

 

 

Le recours aux formes anciennes

 

Lors d’une conférence donnée à Millau, lors de l’Assemblée générale du Cercle généalogique du Sud-Aveyron (14 septembre 1996, De Condatemag à Amiliavum), nous avons déjà exprimé ce doute et pensé alors le résoudre en voyant en Amiliavum un sens délocutif où le toponyme aurait eu un sens attaché à une locution gallo-romaine du type « le champ d’Aemilius » (la terre inaliénable, le terrain neutre ou bien encore le lieu de rencontre,...).

Mais à élaborer des hypothèses on court bien souvent le risque d’oublier ce que l’on a sous les yeux. Et ce que l’on a sous les yeux est une forme ancienne du type Amiglavu donnée par de Amigliauvo en 1037 donc parmi les plus anciennes connues du nom de notre ville : Millavensis de 874, Amiliavense de 912, Amilhau, Amiliau formes occitanes de 1061.

Rare dans la série des formes anciennes connues pour notre Millau, le type Amiglavu est omniprésent du XIIe au XIVe siècle pour MILHAUD du Gard, en alternance avec le type Amiliavu :

  • Amiliau, Amiliavum, 1112 ;
  • Ecclesia de Amiglau, 1156 ;
  • Amiglavum, 1161 ;
  • Amilau, 1232 ;
  • Ameglavum, 1245 ;
  • Milhavum, 1325 ;
  • Ameglavum, 1384 ;
  • Meillau, 1435.

Et l’on va rencontrer une forme ancienne de ce type pour un lieu qui va être plein d’enseignements pour nous, appelé Saint-Geniès-de-la-Millau, porté plus couramment Saint-Geniès sur la carte IGN (mais appelé ainsi par la carte de Cassini au XVIIIe siècle) et pour lequel, dans un compte rendu de la NRO n° 25-26, 1995, Raymond Sindou traitant de l’ouvrage La Langue gauloise de Pierre-Yves Lambert (1994) met en évidence, dans un manuscrit des environs de l’an 800, la forme ancienne Ameglado, à l’origine de LA MILLAU de Saint-Geniès-de-la-Millau, dans la commune de Belfort-du-Quercy, dans le Lot (canton de Lalbenque), sur la route entre Montdoumerc et Lalbenque. On reconnaît ici la mécoupure Amilhau > a Milhau déjà notée, à la faveur de l’apparition de l’article la : l’Amilhau > la Milhau > Milhau.

A noter qu’il existe le nom de famille LAMILHAU qui conserve le stade intermédiaire où le a initial a induit l’apparition de l’article élidé lequel s’est agglutiné au toponyme ici devenu nom de famille. Ce nom est peu connu et surtout centré sur l’Aude. Sans doute représentant l’un des 4 Milhau donné par l’abbé Sabarthès pour ce département. Aujourd’hui Milhau évoqué par Saint-Geniès-de-la-Millau est un lieu-dit de la vallée du ruisseau de Lemboulas, à 2 km au sud-ouest. Le site se distingue par une série de 3 îlots allongés entre les deux rives du Lemboulas : l’un (le plus petit : 200 m environ) au niveau de Milhau, l’autre le plus long (700 m) au niveau de l’ancien moulin de Doumenge et l’autre (500 m) au niveau du hameau de Pascalot.

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Et l’hypothèse donnée par le toponymiste va tenir compte du nom du ruisseau de Lemboulas à restituer l’Emboulas, graphie de l’Amboulas avec ambe- / ambi qui est commun au grec, au latin et au celte avec des sens proches (c’est-à-dire « des deux côtés, autour ») et que l’on retrouve avec le nom d’Ambialet, commune du Tarn sur une presqu’île entourée par un méandre du Tarn, ou bien encore Ambès et Ambarès dans la confluence de la Garonne et de la Dordogne ; sans parler d’Ambert, ancien Amberitum (gué du confluent) dans la confluence de la Dore Quant à la forme ancienne Ameglado, elle comporte ambe réduit à am que l’on rencontre avec le type Amalone de noms de rivières de l’Hérault : Lamalou avec l’article l agglutiné : le Lamalou, nom d’un affluent de l’Orb en amont de Ceilhe-et-Rocozels, dans l’Hérault et qui donne son nom à la ferme de La Malou ; et Lamalou, ancien nom du Bitoulet jusqu’au XIXe siècle, qui arrose Lamalou-les-Bains et Lamalou-le-Vieux, lui aussi affluent de l’Orb. Avec rhotacisme du l (Amalon > Amaron), l’Aveyron a le ruisseau d’Amarou, affluent du Lot, coulant dans les commune de Montpeyroux - le Nayrac - Florentin-la-Capelle, appartient au thème hydronymique celtique *amalon-, sur am « autour de ». Dans tous ces noms de ruisseaux ce ne sont pas les îles de leur lit qui est ainsi évoqué mais leur confluence avec le fleuve dont ils sont tributaires. Ceci à tel point que ambe celtique tout au moins à pris le simple sens de ruisseau par l’idée de confluence.

Mais revenons à notre Ameclado de Saint-Geniès-de-la-Millau.

Au point de vue phonétique :

  • - cl entre voyelles évolue normalement jusqu’à l mouillé avec sonorisation de c à g noté gli dans la forme ancienne Amigliavu mais le plus souvent noté gl ;
  • - le groupe -ado en position finale, donc atone, paraît être une variante avec suffixe celtique -ate à valeur ethnique (les habitants du ruisseau des îles) et n’a pas été continué par la forme actuelle qui aurait donné Milha (francisé en Mille).
  • -
  • Le type initial qui a abouti à Milhau avait -avum pour suffixe c’est donc à un type Ameclavu / Amiclavu que doivent se rattacher les diverses occurrences Milhau / Millau connues. Mais quelle réalité, dans leur multiplicité, recouvrent-elles en fait.

 

Les descendants de Amiclavu

Notre MILLAU, dont la partie antique était dans la confluence du Tarn et de la Dourbie n’offre guère sujet à conjectures. MILHAVET du Tarn se trouve dans la confluence de ruisseaux formant le ruisseau d’Escourou. Dans le Puy-de-Dôme, MEILHAUD s’est développé en partie entre le cours de la Couze de Pavin et un de ses ramifications qui rejoint son cours en aval de manière à déterminer une sorte de grande île. MILHAUD du Gard s’est développé entre la Pondre aujourd’hui bien dépassée et la plaine aujourd’hui viticole et jadis marécageuse qui s’étendait jusqu’au Vistre à 2 km de là.

Comme on peut le constater les applications du sens de « autour de, entourer » sont fort diverses.

 

îles

Dans la « vallée des îles » de Saint-Geniès-de-la-Millau, Amiclavu désigne originellement les îles du lit du Lemboulas entourées par les eaux du ruisseau.

Le même cas de figure est à retenir pour Meilhaud du Puy-de-Dôme.

 

Confinement

A Milhaud du Gard qu’il faut considérer sous un autre angle que la topographie actuelle où la plaine est drainée, il s’agit plutôt d’une notion de confinement entre une rivière aux eaux redoutables à époque d’orages, une zone de hauteurs au nord et la plaine marécageuse.

On retrouve la même configuration à Milhaud de la commune de Gardanne, dans une zone enserrée entre les hauteurs et le ruisseau du vallon de Rambert.

 

Boucle

Comme ce l’a été pour ambe à Ambialet, la notion de boucle, de méandre, intervient dans Milhau quartier de Castres, dans le Tarn, qui se trouve dans une boucle de l’Agout, toutefois au niveau de sa confluence avec le Thoré.

Dans le Lot-et-Garonne, la ferme de Millau, au sud-ouest de Roumagne, est entre le ruisseau de Junchère et une boucle du ruisseau de Mont Saint-Jean.

 

Confluence

Notre ville de Millau, donne le sens, peu sujet à litige, de confluence entre le Tarn et la Dourbie déjà connu avec le nom gaulois de condate.

De diverses manières c’est, bien entendu, le sens le plus reçu.

Dans l’Hérault, le domaine de Milhau est dans la confluence du ruisseau de Saint-Félix et de la Bouscade.

Dans le Lot-et-Garonne, Millau au sud de la commune de Lavergne, est dans la confluence entre le ruisseau du Saut du Loup et le Dourdène.

En Gironde, le Moulin de Millau est dans l’angle du ruisseau de Goulor et d’un affluent.

Dans l’Aude, la ferme de Millau est près du cours de l’Ambronne et à l’angle d’un ruisseau affluent.

Deux branches de cours d’eau formant un ruisseau plus important

On rencontre des Millau dans la confluence de deux branches de cours d’eau formant un ruisseau : c’est le cas pour Millau du Lot-et-Garonne, au sud de Miramont-de-Guyenne, qui se trouve entre les deux branches formant le ruisseau de Ventanguile.

Et l’on peut trouver un Milhau en hauteur, dans ce même département du Tarn, dans la commune de Lacaune, où on le trouve sur une croupe individualisée par deux ruisseaux celui de Toudoure et ce Combaudouze.

C’est encore le cas pour la commune de Milhavet dans le Tarn, entre les deux ruisseaux formant le ruisseau de l’Escourou.

 

Entre deux ruisseaux parallèles

Dans d’autres cas enfin, la situation entre deux ruisseaux non confluents rend compte du nom de lieu. Il s’agit de la ferme de Milhau dans l’Aude (commune de Pennautier) entre le ruisseau du Pech Donnat et la vallée empruntée par le Canal du Midi, porté ad Fontem Milanum en 1262 dans l’Histoire générale du Languedoc de dom Vaissète.

De même à Monestrol, dans la Haute-Garonne, le domaine de Milhau entre deux ruisseaux affluents de la Thésauque.

On vient donc d’apprendre que le nom de Millau est un synonyme de l’historique condate, terme gaulois signifiant « confluent » dont nous parle Condatemagus, le lieu (magos) du confluent (condate), la ville-marché du confluent à époque gallo-romaine (dont le nom est attesté aux IIIe-IVe siècle sur la table de Peutinger). Il sera donc curieux de connaître l’expansion comparée de ce nom de lieu autrement connu que Millau, au point de vue linguistique.

 

Un parallèle avec les occurrences de Condat

On a bien entendu affaire à de nombreuses confluences. C’est Condat-en-Combrailles du Puy-de-Dôme, commune à l’angle du Tyse et d’un affluent ; c’est Condat de la commune de Bouziès, dans la confluence du Lot et du Célé ; c’est Condat de la Creuse (commune du Grand Bourg), hameau dans la confluence de la Gartempe et du ruisseau de Barriat ; c’est Condat-sur-Vézère, dans la Dordogne, à la confluence de la Vézère et du Coly ; c’est Condat-sur-Vienne, dans la Haute-Vienne, à la confluence de la Vienne et du Rigouroux ; c’est Condat de la commune de Fumel, dans la Haute-Garonne, hameau à la confluence du Lot et du ruisseau de la Thèze, avec les célèbres moulins à papier de Condat ; En Gironde, Condat dans une boucle de la Dordogne dans une zone d’affluence de l’Isle. Dans notre département , et dans une situation à peu près similaire à celle de Milhau de Castres, Condat est un hameau dans une boucle du Lot au niveau de sa confluence avec la Truyère. Ce Condat est cité dans le cartulaire de Conques : alode meo de Condado entre 997 et 1030 (mon alleu de Condat).

 

Fourches de ruisseaux

Comme on l’a vu pour Millau / Milhau, Condat s’installe souvent dans la fourche de ruisseaux formant un ruisseau plus important : c’est le cas à Lautrec dans le Tarn où Condat est une ferme entre 2 ruisseaux formant le ruisseau de Vidalès. En Corrèze, Condat-sur-Ganaveix est dans un site d’affluences multiples sur le ruisseau de Vialles ; de même pour Condat, commune du Lot se trouvant dans une configuration de rencontres de ruisseaux dont le Lafondial.

 

Iles

Et enfin, dans la commune de Degagnac, on a même, à l’égal de Milhau de Saint-Geniès-de-la-Millau, une vallée des îlots avec Condat, ferme sur une rive du ruisseau de Palazat dont le cours crée des îlots dans son lit.

 

Amiglavum / Condatomagus

Cet exercice de toponymie comparée suffit à mettre en évidence le sort commun de deux toponymes dont l’un a été ignoré car mal établi dans ses formes anciennes et tombé dans l’attraction d’Amilius. Il restera encore à sortir de l’obscurité bien d’autres attestations toponymiques de Millau et de les lester de formes anciennes qui témoignent de la vie passée de ce nom de lieu. La distribution des noms de lieux en question montre une implantation commune des noms de lieux à l’ouest du Rhône. Millau suit bien la côte méditerranéenne avec les Bouches-du-Rhône mais son avancée ne va guère au-delà. Dans les deux cas, on évite le sud-sud-ouest (les départements pyrénéens) mais Condat va jusqu’à la Loire et comme l’on sait, la dépasse sous la forme Condé, alors que notre Millau demeure résolument méridional (on ne connaît pas ou peu de Millou, Milloux, etc.) car telle serait la version Oïl de Millau occitan.

 

A Millau que s’est-il passé ?

Selon toute apparence Condatomagus et Amiglavu n’avaient pas le même statut politico-linguistique. Le composé Condatomagus a, selon toute apparence, été le nom officiel longtemps après la conquête romaine, alors que condate était devenu le terme reçu couramment parmi les tribus de la Gaule (excepté, selon la toponymie, chez les Voconces et Allobroges de la rive est du Rhône). Par contre Amiglavu est plus local : il est connu avec le sens de « confluent » par les Rutènes, les Volques Tectosages et Arécomiques, mais pas plus au nord : Arvernes, Petrocores et Lemovices l’ignorent. On ne saurait dire s’il était plus ancien ou plus récent que Condatomagus ? Ce dérivé avait-il été adopté par les Gaulois avant la notoriété de condate ? ou bien est-ce l’inverse et a-t-on affaire à un nouveau-venu point encore de force à contrebattre le succès de condate ? aujourd’hui nul ne le sait.

Sur le site de Millau, Amiglavu a dû être un nom d’unité urbaine marginale par rapport à Condatomagus et située sur la rive droite du Tarn. C’est la disparition progressive puis brutale (saccagée lors des Invasions germaniques) de Condatemagus qui assura le succès de Millau.

 

 

 




 




06/07/2012
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