SAINT-CHÉLY
Si l’on fait le tour des noms de lieux et des noms communs, les mauvaises coupures de mots qui ont fait école ne sont pas rares. Nous les trouvons fréquemment avec les noms de lieux célébrant des saints.
A l’international, le plus connu est le nom de lieu Santiago (Saint-Jacques) fort représenté en Espagne, au Portugal et dans toute l’Amérique latine. Il conserve la prononciation « i » de « j » latin dans le nom de Jacob, et Sancti Jacobi est donc prononcé Sancti Iacobi, ce qui a donné le nom de lieu Santiago devenu prénom à côté de Yago espagnol et Iago portugais1. Mais le plus curieux en cela fut la mauvaise coupure (mécoupure) « San-Tiago » qui est à l'origine du prénom Tiago espagnol, portugais et brésilien, lequel, après affaiblissement du t initial en d, donna Diago et Diego en espagnol et Diogo en portugais. Ce qui finit par donner Diaz dans le premier cas, et Dias dans le second, quand on ajouta le suffixe familial -(e)z / -(e)s, sans doute au sens de « fils de Diago ».
Des saints qui chuintent
A commencer par SAINT-CHINIAN dans l’Hérault, qui est un sanch Anian (sanctus Anianus < Monasterium S. Aniani, en 826), célébrant la mémoire de saint Anien, à l'origine cordonnier de son état, au Ier siècle après J.C., qui fut converti par saint Marc lui conseillant de ne plus prendre à témoins, dans ses jurons, Jupiter et ses dieux mais le « Grand Dieu du Ciel ». Le conseil porta ses fruits puisqu’Anien devint, succédant à saint Marc, évêque d’Alexandrie en Egypte, où il mourut entre 82 et 86.
SAINT-CHAMASSY dans la Dordogne pour sanch Amassy (sanctus Eumachius, XIIIe siècle) ; du nom d’Eumache, saint confesseur du Périgord du VIe siècle : saint Ymas, localement. Né dans une famille chrétienne du VIe siècle, il garda les troupeaux en pratiquant sans limite une charité chrétienne qui lui valut les admonestations de sa patronne. Il se retira alors dans une solitude du voisinage où il mourut. La population éleva en ce lieu une église paroissiale qui existe encore de nos jours.
SAINT-CHAMANT du Cantal (S. Amancius en 1288) et SAINT-CHAMAS des Bouches-du-Rhône (S. Amantium en 969) se rattachent sans doute à saint Amans premier évêque de Rodez.
Il ne faut pas confondre ce dernier avec SAINT-CHAMOND, nom de commune de la Loire dont un texte du Xe siècle portant aecclesia Aunemundi en 976, montre qu’elle doit son nom à un évêque de Lyon du VIIe siècle.
Et c’est avec le secours de la forme ancienne villa Sancta Agatha de 1121, que l’on reconnaît sous le nom de SAINT-CHAPTES du Gard, le nom de la martyre sicilienne Agathe que l’iconographie religieuse représente avec les seins tranchés portés sur un plateau.
On l’a bien compris, ces noms de saints devenus étranges sont dus, encore une fois, à une mauvaise coupure entre la finale de sanch « saint » et le début du nom du saint. La forme sanch est peu connue aujourd'hui, dans notre rouergat qui a sant prononcé « sont » (per Sont Miquel, pour la Saint-Michel, Dictionnaire patois-français de Vayssier, p. 582) et sent (per Sent-Pèyre, pour la Saint-Pierre, ibid.). Toutefois la Lozère connaît, à côté de sent, la forme sench qui, au creux de l’histoire, tend la main à notre sanch variante de sant.
Saint-Chély-d’Aubrac, Saint-Chély-d’Apcher, Saint-Chély-du-Tarn
Dans nos contrées, le problème de la mécoupure se pose avec les Saint-Chély : SAINT-CHÉLY-d’Aubrac dans l’Aveyron ; SAINT-CHÉLY-d’Apcher et SAINT-CHÉLY-du-Tarn dans la Lozère.
On leur ajoutera Saint-Chély, nom de ferme au sud-ouest de Sévérac-le-Château, siège du prieuré de Saint-Eloi et ancienne église paroissiale du Sévéragais. Il est porté Saint-Chély de Sévérac sur la carte de Cassini (1773-5) et dans le Dictionnaire des lieux habités de l’Aveyron de Jean-Louis Dardé (1868).
Plutôt qu’à saint Eloi auquel fait référence la dédicace du prieuré du Sévéragais, c’est à saint Hilaire que se rattachent par leur forme ancienne, les trois principaux Saint-Chély : ecclesia Sancti Ylari en 1266 pour Saint-Chély-d’Aubrac, ecclesia Sancti Ylari vers 1109 pour Saint-Chély-d’Apcher et ecclesia Sancti Ylari, en 1115 pour Saint-Chély-du-Tarn.
On y trouve désigné un saint Ylari qui montre que la finale ch de sanch a été considérée, dans ces noms de lieux, comme étant le début du nom du saint. Il pourrait principalement s’agir d’Hilaire, évêque de Mende de 515 à 535, 7e évêque du Gévaudan, qui aurait défendu la ville contre l’avancée des Francs, depuis son château de Castel-Merlet. L’histoire de La Malène, dans les gorges du Tarn, doit quelques-unes de ses pages à ce dernier qui aurait fondé un monastère d’hommes sur le roc de la Barre.
Ély pour Elier (Hilarius)
La forme populaire du nom de saint Hilaire (de Hilarius latin, qui a la joie spirituelle du chrétien) fut Élier, Hélier, Hilier qui sont des noms de familles représentés aussi bien en pays d’Oïl qu’en pays d’Oc. Quant aux patronymes Hilaire et Hilary, ce sont des formes savantes calquées sur le latin.
La contiguïté entre sanch et Elier, le nom du saint dans sa forme populaire, a donné lieu à de nombreuses déformations de ce dernier. On peut constater un phénomène majeur : le changement de position de l’accent tonique du fait de la prononciation du groupe de mots en une seule émission de voix. La prononciation de Sanchelièr a occasionné un recul de l’accent tonique d’où l’assourdissement progressif de la finale ; d’où Sanch Eli... prononcé « Sanchééli ».
1. Les autres produits de Jacobus (et variante Jacomus) étant, bien entendu, Jacobo et Jaime espagnols et Jacó et Jaime portugais.
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