Noms de Familles et Noms de Lieux

Noms de Familles et Noms de Lieux

TOPONYMIE DU DÉCOURAGEMENT

TOPONYMIE DU DÉCOURAGEMENT

 

 

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Piquetalen

 

Pica talent

 

La terre de peu de rapport est à l’origine de nombreux toponymes-sobriquets où le paysan donne un nom évocateur au terroir peu fertile.

Les formations les plus courantes parlent de la faim. 

Il en est de PIQUETALEN de la commune de Labastide-Pradines (porté hameau avec 6 habitants en 18681) comme de la butte inculte de Piquetalen dans la commune de Pézenas (dans l’Hérault).

Et que ce soit à Picatalen, site d’un bâtiment 2 km au nord-est d’Alrance (sur un versant culminant au Puech de la Vernhe) ou bien encore à Pictalen, à l’ouest du Luc, dans une zone de versant à la limite des bois, pica talenttraduit lo talent que pica, la faim qui point le paysan et sa famille, la faim qui les ronge.

Pensons au moulin à vent de Pico-talentdu proverbe cité par Mistral dans son Trésor du Félibrige :

Loumouli de Pico-Talent

Quanti a de blad, manco de vent.

Le moulin de Crève de Faim

Quand il y a du blé il y manque le vent.

Le talent de l’occitan 

En occitan, l’un des multiples sens de picar est « poindre » au sens de « provoquer une souffrance physique aigüe ».

Et lotalent (sud-Aveyron) ou la talent (extrême nord-Aveyron) rejoint le sens de « désir, manque » que le terme avait également en ancien et moyen français2 :

Lirois a talent qu’il le voie(Le roi désire le voir)3.

Le moyen français (à partir du XVesiècle) suivra la parabole biblique des talents, de l’argent distribué à trois serviteurs : deux le font fructifier, le troisième (celui qui n’a reçu qu’un talent) le cache et lui sera retiré par le maître.

Sous cet aspect, le talent est un cadeau, un don qu’il appartient de faire fructifier. Ainsi le talent prend-il le sens d’aptitude particulière à faire quelque chose.

L’occitan conserve le sens premier d’ « argent4qu’on n’a pas et que l’on désire » alors que le français classique suivra, par la voie du latin chrétien, celui d’ « argent que l’on a reçu ».

Piquetalen(t) d’ailleurs

Le toponyme est également bien connu dans le département du Tarn où l’on trouve Piquetalen dans les communes de Vénès, d’Ambres (près de Labastide-St-Georges), de Verdalle et Le Vintrou (aujourd'hui sur des mi-versants boisés).

On connaît aussi des Piquetalen de la Haute-Garonne : l’un près de Saint-Félix-Lauragais, l’autre près d’Avignonet-Lauragais ; sans oublier Piquetalent (avec tfinal) au sud-ouest de Nailloux.

On peut aussi et enfin citer Piquetalent de la commune de Saverdun, dans l’Ariège, au sommet d’une hauteur. Dans l’Aude, les Piquetalen sont situés dans des contextes montagneux et boisés : pensons particulièrement à Piquetalen de la commune de Cabrespine, sur un haut versant du Mont Serrat qui porte le parc éolien du haut Cabardès.

On ne peut citer aucun nom de famille Piquetalen(t) attaché à ce type de nom de lieu qui n’a pas entraîné démographiquement la création de centres assez importants pour susciter des noms d’origine.  

 

Bramefan

 

L’expression courante de cette faim est surtout donnée par le toponyme BRAMEFAN / BRAMEFAM.

Ce sont des lieux où l’on « crève de faim », où l’on « crie de faim » : brama fam.

Dans son Trésor du Félibrige,Frédéric Mistral donne brama fam « crier à la faim ». 

 Citons BRAMEFAN au sud de St-Chinian (Hérault), BRAMEFAN, à l’ouest de Murviel-les-Béziers (même département), le sommet de BRAMEFAN dans la commune de La Motte-du-Caire (Alpes-de-Haute-Provence), BRAMEFAN, lieu-dit de La Motte-Chalencon (Drôme) et bien d’autres lieux-dits où l’on « crie de faim » (brama fam).

En tout, la carte IGN au 25 000eporte 36 occurrences de Bramefan portant sur 19 départements et 14 occurrences de Bramefam portant sur 9 départements.

Les départements les plus pourvus sont les Hautes-Alpes et la Drôme où chacun d’entre eux comporte 5 Bramefan.

Ernest Nègre donne également, dans sa Toponymie générale de la France, Bramefam de la commune de St-Pierre-d’Irube, dans les Pyrénées-Atlantiques, et BRAMETOURTE de la commune de Lautrec (Tarn) où l’on ne crie pas de faim, mais où l’on crie après la torta(le gros pain de ménage).

 

Toponymie du découragement

 

On connaît particulièrement le toponyme CRÈVECŒUR répandu dans les pays d’Oïl et dans le nord du domaine méridional : lieux-dits de la commune de St-Martin-Valmeroux (Crevecueren 1269) et de la commune du Puy, dans la Haute-Loire (Crebacoren 1237). Il donne l’idée d’une terre où l’on s’exténue à travailler et où la récolte ne paie pas le travail.

On connaît également Crèvecœur dans la commune de Valmeroux du Cantal, dans le Gers (commune de Manciet) et dans les Hautes-Alpes (commune de Gap).

La toponymie représente ici un crievecuer connu de l’ancien français et représenté par un nom de famille Crévecœur qui se cantonne dans la Seine-Maritime, le Pas-de-Calais, Paris et l’Oise.

D’autres locutions toponymiques sont moins répandues, mais font néanmoins partie de séries se dessinant à travers l’apparente diversité.

MAUCOR des Pyrénées-Atlantiques, et MAUCO des Landes représentent un ancien occitan mau cor (littéralement « mauvais cœur ») au sens de « découragement, regret, rancœur ». 

Plus expressifs sont TROMPE-PAUVRES près de Cessenon, dans l’Hérault ; et TROMPE-GUILLAUME, lieu-dit de la commune de Villevocance, dans l’Ardèche.

La même idée est rendue par NIQUEFOL (nica fòl, trompe le fou qui a cru dans la fertilité du lieu), clairière dans les bois au sud-ouest de Saint-Mamet-La-Salvetat, dans le Cantal.

Dans la commune de Saint-Gilles, dans le Gard, près de l’étang de Scamandre, JE M’EN REPENS, nom de mas, répond à MENPENTI, hameau de la commune de Marseille (m’en penti, je m’en repens, du provençal se pentir, se repentir).

Dans la commune de Malons-et-Elze (Gard) le ruisseau de RAUBE-ESCUT, de même que RABESCUT, versant boisé à l’est de la montagne du Goulet, évoquent sous le toponyme-sobriquet Rauba-escut(vole écu), la perte d’argent placé en vain sur une terre avare.

 

Trigodinas 

 

Un nom de lieu, particulier au Midi de la France, fait l’unanimité quant à l’expression du désespoir face à l’aridité des lieux. 

Il s’agit de TRIGODINAS qui est un composé de trigar « tarder » et de dinnar5« déjeuner » et exprime l’idée de « s’occuper à des choses sans importance à en perdre le boire et le manger » : en un mot, de travailler pour rien.

L’Aveyron a trois Trigodinas :

- l’un dans la commune de Capdenac-Gare, dans une zone conquise sur les bois, entre Salvagnac et Le Sonnac ;

- l’autre, dans la commune de La Roquette, où Trigodinas est un hameau en longueurau milieu des bois à l’ouest de Villefranche-de-Rouergue ;

- le troisième est en plein champ au sud-ouest de Sénergues.

A noter enfin une variante avec TRIGADINO dans la commune d’Espeyrac, toujours forme phonétique occitane, sur un rebord de calm envahi par les bois, dominant le versant escarpé de la combe drainée par un ruisseau affluent du Lot tout proche.

On observe aussi le composé TRIGODINA qui associetrigaà l’infinitif dinnardont le rfinal n’est pas prononcé.

Le composé Trigodina (sans sfinal) est connu dans bien d’autres départements des pays d'Oc où l’on trouve Trigodina dans le Gers, l’Aude, le Tarn, le Tarn-et-Garonne (4 occurrences) et principalement le Lot (11 occurrences).

La forme semi-francisée Triguedina est également connue dans la Dordogne (qui a aussi des Triguedinat), le Gers, le Lot-et-Garonne (et des formes Triguedinna) et le Tarn-et-Garonne.

… et sans boire

Un autre composé associe trigaà beure « boire ».

Ainsi de TRIGOBEURE de l’Aude, de la Haute-Garonne et du Tarn et de ses nombreuses variantes telles que (Trigobéouré de l’Aude, Trigo Béoué du Gers et de la Haute-Garonne) qui tentent de rendre au mieux la prononciation locale.

Au pays des gens heureux…

Notons que certains toponymes-sobriquets évoquent la satisfaction du paysan.

Aux nombreux BRAMEFAN, répond MATEFAN de la commune de Ségur (Aveyron) qui signifie « tue la faim » (mata fam).

A la terre qui « vole les écus » (voir RAUBE-ESCUT ci-dessus) s’oppose TROUVEDENIERS, lieu-dit de la commune de Pradinas (Aveyron).

Au nom de mas du canton d’Arles (à l’ouest du Rhône) le désabusé A FAUTE DE MIEUX, s’oppose A TOUT VA BIEN, nom d’une ferme du hameau de Burgeille (Haute-Loire).

 

 

1. Jean-Louis Dardé, Dictionnaire des lieux habités de l’Aveyron.

2. A la suite de l’acception d’ « état d’esprit, sentiment, pensée » connue à la fin du Xesiècle. 

3. Jean Bodel, le Jeu de saint Nicolas, 1190.

4. Le grec talentos, la plus importante monnaie grecque, a d’abord désigné, dans l’Antiquité, une unité de poids d’argent (entre 26 et 41 kg) et, par la suite, une valeur monétaire. 

5. Pour les non-occitanisants, à articuler en redoublant le n (comme pour Anne).

 



15/10/2020
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