Noms de Familles et Noms de Lieux

Noms de Familles et Noms de Lieux

Toponymie Gallo-romaine

 

Conférence donnée par Jacques Astor en 2011, dans le cadre de l'Université du temps libre, à Rodez

 

 TOPONYMIE GALLO-ROMAINE DE L'AVEYRON ET NOMS DE FAMILLES QUI EN SONT ISSUS

 

 

Comme son nom le laisse prévoir, la toponymie gallo-romaine dont nous allons traiter est constituée, d’une part, de noms de lieux relevant de l’onomastique gauloise et, d’autre part, de noms de lieux concernant l’onomastique latine. On n’y verra donc pas de toponymie  occitane ni de toponymie préceltique à laquelle ont trait nombre de noms de montagnes et de rivières.

Cela reste un vaste sujet qui, dans les limites d’une conférence, ne peut dépasser le stade de l’initiation. Toutefois, en nous plaçant dans la perspective de noms de lieux devenus noms de familles, nous avons réduit le champ des investigations aux noms de communes lesquels ont été le réservoir des patronymes, ceci sans nous priver de multiples échappées nécessitées par le besoin de clarté ou d’exactitude de notre exposé.

 

 

 

Abordons les noms de lieux gaulois et comme nous avons pris pour partie les lieux habités nous en oublierons les noms de rivières ou de montagnes.

 

Ils sont, bien entendu, d’une époque antérieure à celle de la pénétration romaine en pays rutène durant le premier siècle avant notre ère.

Par exception à notre intention annoncée, intéressons-nous d’abord à un modeste lieu-dit :  BROCOU, nom de  hauteur du Larzac, hauteur dominant le Cap de Coste, près de Brunas (piste d’envol de parapentes) près de Millau, qui n’a aucun rapport avec les bròcas « branchettes » ou bròcs « buissons ». Il représente du nom *Broccone une hauteur, une éminence. Et ce Broccone  est du pur gaulois broccus  signifiant « prohéminent » pour désigner une éminence, une hauteur.

Et ce nom de hauteur est représenté à 4,5 km de là à vol d’oiseau, sur l’autre berge du Tarn, dans le site de l’aire d’accueil du viaduc, à BROCUÉJOULS, composé typiquement gaulois signifiant « clairière (ialo) de l’éminence (brocc-) » : terroir de l’éminence.

Les formes anciennes Brogmad (1065-1090, cartulaire de Conques) et Brocmat, 1267 de BROMMAT, montrent qu’un composé brocc- « pointe , angle de terrain » et mago « plaine » a été dérivé en –ac /-at, pour désigner un établissement dans une petite plaine dans l’angle de la confluence du Siniq avec la Bromme.

Voilà deux premiers toponymes gaulois. Un troisième, bien plus connu dans toute la France,  est condate.

Il est donné par CONDAT nom de hameau de la commune d’Entraygues-sur-Truyère, qui signifie « confluent » et désigne le confluent entre la Truyère et le Lot. Un doublet occitan de ce toponyme gaulois est entraigas « entre les eaux » ; d’où Entraygues.

La toponymie gauloise aime les composés : principalement avec magos « plaine », « lieu habité, village » ou ialo « clairière », « terroir ».

L’ancien nom de Millau, sur son ancien site à la confluence entre le Tarn et la Dourbie est Conatomagos « la ville du confluent ». Si ce toponyme avait survécu, on aurait eu Condom. On connaît Condom du Gers. Plus près de nous, nous avons CONDOM-d’Aubrac, sur un massif individualisé par la confluence de la Boralde Flaujaguèze et la Boralde de Condom.

On s’étonnera sans doute de voir que, dans ce type de composé, la racine magos « lieu habité, village » ne soit représentée que par la lettre « m ». Ceci est un trait de l’accentuation celtique où la voix, l’accent tonique du groupe total constitué par le composé, porte sur l’antépénultième syllabe (celle qui est avant l’avant-dernière).  Elle porte donc ici sur le o de transition : condato : magos. Les syllabes qui ont suivi ont subi une érosion qui les a conduit jusqu’à m. Riom (ricomagos : « la ville marché du roi », Bram dans l’Aude « eburomagos, composé avec eburo nom de l’if ». C’est aussi le fameux Carantomagos de la Table de Peutinger où magos se restreint au n final de CRANTON dans la commune de Compolibat.

Cette érosion atteint également, pour les mêmes raisons, les composés avec briga « hauteur, hauteur fortifiée » où le produit de briga devient « bre » : c’est CANTOBRE dans la vallée de la Dourbie, c’est SOULOBRE au nord de Millau, toujours dans le site du viaduc.

Comme on peut le remarquer, en gaulois (comme pour le grec ou le germanique) le déterminant est avant le déterminé : ce n’est pas la « ville du confluent » mais « du confluent la ville ».

Géographiquement le plus proche de nous, pensons au composé  Segodunum ancien nom de Rodez. Il est noté par Ptolémée au IIe siècle de notre ère et sur la Table de Peutinger au IVe siècle. Ce composé associe sego- « force » et dunum « hauteur fortifiée » puis « forteresse » pour donner le sens général de « puissante colline fortifiée ». Par le jeu de l’érosion des syllabes finales, le composé aurait donné Sezun / Sehun / Sahun.

Au même titre que les châteaux forts de l’Ancien Régime, la forteresse gauloise fut un lieu de refuge pour les populations en proie aux envahisseurs. Aussi le dunum fut souvent un foyer d’attraction urbaine et le noyau d’érection d’une ville, d’un chef-lieu de tribu. C’est ainsi que Segodunum fut appelé civitas Rutenorum, cité des Rutènes, du nom du peuple dont elle était la capitale.

Le toponyme  RODEZ est issu du nom des Rutènes à l’ablatif-locatif pluriel en -is : Rutenis « chez les Rutènes ». Par l’évolution Rutens > Rude(n)s > Rodes.

La chute de la voyelle finale i,

 l’affaiblissement du t intervocalique en d,

 et l’évolution du u bref en u ouvert ont donné Rodens > Rodés.

Le nom du ROUERGUE est formé par suffixation de Rutenus avec -icu ; la finale de ce choronyme a suivi une évolution identique à celle du suffixe latin -anicu de produit -argue (v. p. 974).

Le t intervocalique s’y est affaibli en d (Rodergue en 1150) puis a évolué jusqu’à z (Rozergue vers 1172) avant de tomber totalement ; d’où le stade Roergue.

 

Au titre des noms gaulois, dans une conférence récente donnée récemment, nous avons montré que le nom de MILLAUne pouvait représenter le nom d’homme latin AEmilius > Amilius par impossibilité d’une fréquence particulière du suffixe -avum dans les dérivés l’impliquant. Nous avons montré à partir de formes anciennes comment une racine gauloise Ambeglavo / Ameglavo gaulois constituait un synonyme de condate « confluent » représenté par Condatemagus, nom ancien de Millau et était à l'origine du nom de  la ville.

Rodez et Millau ont donné des noms de familles.

 Rodez fort modestement. Le nom de famille RODEZ a de nos jours peu de vitalité et est surtout rencontré au nord de la Loire. La forme mi-phonétique ROUDEZ a une présence dans le Tarn et dans le sud-Aveyron (Camarès, Plaisance, Martrin). La forme la plus connue est ROUDÈS qui hante le Tarn-et-Garonne, la Haute-Garonne, la Gironde (comme Rodez qui en est une variante ), le Lot et le Tarn.

Pour les représentants de Millau, on connaît des AMILHAU répartis entre Aveyron, Tarn, Tarn et Tarn-et-Garonne. On connaît des MILLAU :  avec l’Aveyron pour département de référence. Quand je dis département de référence, cela veut dire que le département en question renferme le plus de représentants du nom de famille en question.

Ainsi, pour MILHAU, dix fois plus connu que le premier, ce n’est plus notre département qui est département de référence mais l’Hérault qui en a le plus accueilli par le phénomène migratoire. Et nous aurons l’occasion d’observer ceci à maintes reprises.

 

 

Revenons à nos toponymes gaulois.


Le composé le plus courant est avec ialo «  espace découvert »,  interprété d’abord au sens de « clairière issue de défrichement de la forêt », puis « lieu de culture » et « lieu de peuplement ». C’est à ce dernier sens de « lieu de peuplement d’un terroir » (par distinction avec celui de « marché », « ville de commerce et d’artisanat ») que nous devons envisager cette racine. C’est sous cet aspect que nous devons comprendre  les 3 tnoms de communes représentant le composé celtique lann-o-ialo signifiant « terroir de la plaine ».

LANUÉJOULS, commune du canton de Montbazens.

LANUÉJOLS, commune de la Lozère, 5 km au sud-est de Mende et LANUÉJOLS du Gard, sur le causse Noir.

Selon toute apparence, il s’agit d’une locution toponymique familière aux Rutènes et aux Gabales.

Sur le causse Noir, l’agglomération de LANUÉJOLS est dans une zone relativement plate.

LANUÉJOLS de la Lozère, au sud-est de Mende, est sur le fond plat de la confluence entre trois ruisseaux formant la Nize, affluent du Bramont.

LANUÉJOULS de l’Aveyron  est dans une zone peu accidentée. Le sens de « terroir de la plaine » n’est donc pas démenti. Alexandre Albenque fait , dans son ouvrage Les Rutènes, un état éloquent des fouilles en ce lieu. Siège d’un vicus (village gaulois), on a trouvé, sous les ruines de l’agglomération gallo-romaine, les fondations d’un amphithéâtre de 90 m de long sur son plus grand axe.

LANUÉJOLS de la Lozère est bien connu, de son côté, pour son mausolée gallo-romain.

 

 

D’autres composés gaulois avec ialo sont connus. On peut en citer 3 :

 

Dans le Vallon de Marcillac, BRUÉJOULS ne fait plus référence à broccos mais à broga « champ » : brogoialo celtique signifiant « terroir du champ ».

Dans le canton de Laguiole, CASSUÉJOULS (Cassojol en 1032) représente une forme réduite cassos de cassanos « chêne ».

Sur le causse Comtal,  CRUÉJOULS se rattache, dit-on, au celtique crudo- « cruel » en tant que nom de propriétaire ou de tenancier.

Deux autres ont leur premier élément obscur : Le premier élément de MOSTUÉJOULS garde tout son mystère. Il est porté anciennement Mostogol en 1147 ; Mostoiol en 1150. Le premier élément de AUSSUÉJOULS de la commune d’Agen-d’Aveyron est aussi obscur.

 

Nous avons gardé pour la fin BESSUÉJOULS qui montre qu’il s’est créé des noms de lieux à époque gallo-romaine puisque l’on y voit buxus latin voisiner avec ialo se révèle être, par sa forme ancienne Buxogol (1120) un hybride italoceltique alliant ialo à buxus latin.

On doit à ce nom de localité le nom de famille BESSUÉJOULS exclusivement aveyronnais mais de très peu d’expansion.

 

 

Ce nom de lieu italoceltique, va nous permettre d’aborder la toponymie gallo-romaine qui est principalement issue de noms de villae gallo-romaines

 

Dans nos régions les noms en -ac permettent, bien des fois, de déterminer dans les lieux en question, la présence ancienne d’un domaine gallo-romain, d’un villa romaine dont la surface bâtie pouvait aller des dimensions d’un de nos fermes actuelles jusqu’à de véritables villages tels que la villa de Chiragan (Haute-Garonne) dont le mur d’enceinte de 1,5 km de développement, délimitait l’espace de vie de 400 personnes. Quant à la surface exploitée, elle pouvait varier de 200 à 8000 hectares.

En Rouergue, les recherches d’Alexandre Albenque (Les Rutènes, p. 213-226) montrent que la superficie de nos domaines gallo-romains ne dépassait guère les 500 hectares (région de Bozouls) et allait souvent en diminuant quand les terres étaient plus riches (Capdenac, Decazeville).

A ces hectares cultivés s’ajoutaient bois, friches et landes incultes.

Alexandre Albenque note que, relativement aux critères retenus, le peuplement gallo-romain du Rouergue oscillait entre la moyenne et petite propriété et que les propriétaires devaient être considérés comme appartenant à une bourgeoisie rurale aisée qui n’avait rien de l’aristocratie terrienne commandant à des centaines d’esclaves.

Quant à la population moyenne de ces domaines, on pouvait l’évaluer à une quarantaine de personnes.

 

Comme de nos jours La Guiraudie sur Guiraud, La Martinerie sur Martin, la plupart de ces noms de domaines étaient formés du nom de leur propriétaire (ou de leur tenancier) avec un suffixe de propriété. En Rouergue comme dans la plupart du domaine occitan, excepté les départements de l’ancienne Provincia, c’est le suffixe -acum emprunté aux Gaulois qui a été adopté. Nous aurons bien souvent l’occasion d’observer des noms d’hommes gaulois ou latins sans suffixes de propriété.

 

 

Des noms d’hommes gaulois

 

La plupart de ces personnes se trouvant à la tête de ces domaines étaient des affranchis gaulois ayant reçu la citoyenneté romaine.

Nombre d’entre eux se présentent d’ailleurs sous leur nom gaulois latinisé en -us ou en –ius.  Ils sont en tout une dizaine sur la soixantaine de noms de domaines gallo-romains représentés dans les noms de communes de l’Aveyron.

Il s’agit de Arnos > Arnus pour ARNAC-sur-Dourdou

Balicius pour BALSAC

Bullius pour BOUILLAC

Mellos > Mellus pour MÉLAGUES (de Melaca villa) où l’appellatif féminin villa s’est substitué au masculin fundus « domaine foncier » ;

Carantos > Carantius « ami » pour CRANSAC avec réduction de la voyelle de la première syllabe dans la dérivation en –acu : Carantiacu > Carantsiac > Crantsac > Cransac. De même racine que Cranton dont nous avons parlé tout à l’heure.

Gabros « la chèvre » (parallèle au latin capra») pour GABRIAC

Lascius ou Laccius pour LAISSAC

Lunus pour LUNAC

Renos > Renius pour RIGNAC (avec fermeture du e de la syllabe initiale en i sous l’influence de la palatalisation du n).

Talicius pour TAUSSAC.

Marnus > Marnius pour MARNHAGUES (de Marniaca villa, comme pour Mélagues) ; s’il ne s’agit pas du surnom Marinus « marin » ayant perdu sa voyelle interne au cours de la dérivation en –acu.

L’Aveyron est département de référence pour les noms de familles CRANSAC (qui est aussi représenté dans le Tarn et l’Hérault) et pour GABRIAC (également bien représenté dans le Gard). Quant à LAISSAC et TAUSSAC, ils ont l’Hérault pour département de référence avec des noms de familles essentiellement enlevés à l’Aveyron. ARNAC est pratiquement  gardois et BALSAC sont principalement connus dans le Lot-et-Garonne.

 

 

On envisagera à part un nom latin de régisseur

 

Ce sont les formes anciennes qui permettent de le déceler.

 

Le nom de  la commune de CONNAC, dans le canton de Réquista, est porté apendaria de Connago au XIIe  s. dans le cartulaire de Conques (p. 394)

 avec  2 n répondant à la prononciation encore actuelle Con.nac

et avec l

Colnac, vers 1200 et vers 1214 dans le cartulaire de la Selve

et Parochia de Colnaco, en 1349 dans le Livre de l'Epervier.

Ici, il n’est plus question du nom d’homme gaulois Connos souvent avancé, maisde colonus « colon ». Ce terme latin est de racine colo, colere « habiter, cultiver » et de sens dérivé : « cultiver à la place de quelqu’un d’autre, habiter en lieu et place de quelqu’un, le représenter ». C’est le sens même de tenancier d’un domaine et le sens plus général connu pour « colon » et « colonie » se rattache à ce sens premier.

De la même manière, le hameau de CONNES, à l’est de Salles-Curan, est porté Colna dans des actes des environs de1160 du cartulaire de La Selve publié par les soins de Paul Ourliac et Anne-Marie Magnou  (el mas de Colna, el mas sobeiras de Colna = le mas Haut de Connes, vers 1160).

Dans les deux cas, on observe la chute d’une voyelle o interne.

Si l’Aveyron est département de référence pour le nom de famille CONNES principalement connu en sud-Aveyron,  l’Hérault et la Haute-Garonne se partagent le devenir de CONNAC qui n’a que peu de présence aveyronnaise.

 

 

Des noms de grandes familles romaines donnés à des Gaulois

 

On reconnaît des noms de familles romaines parmi les noms des tenanciers gallo-romaines. Ces noms qui ont fait convoquer de grands personnages de l’Antiquité dans nos noms de communes ou de hameaux, sont en fait des noms d’affranchis gaulois ayant dû leur libération à un membre d’une grande famille romaine. Cinq familles ou branches de familles romaines sont ainsi évoquées par des noms de communes, fermes ou hameaux.

Les Emiliani représentés par les Amilius affranchis évoqués par les 6 hameaux, fermes ou maison du nom MILHAC. Pour la petite histoire, il faut noter un potier de la Graufesenque signant Quintus Aemilius rappelant le nom d’un grand proconsul d’Espagne.

     Julius nom de famille romaine à laquelle appartenait Jules César, est représenté par JUILLAC, nom de deux hameaux, d’une ferme et d’un quartier de Saint-Affrique.

POUSTHOMY évoque, sous forme savante, le nom de Postumius (le dernier-né), connu comme nom d’une famille romaine.

Et une branche des Postumius, les Albinus sont amplement représentés par les Albinius des hameaux et fermes du nom d’AUBIGNAC et ALBINHAC (hameau et château à Brommat, ruines à Montjaux).

Et enfin Marcellius de MARCILLAC-Vallon se rattache-t-il, par voie d’affranchissement, aux Marcellus, nom d’une branche de la famille Claudia.

Devenu nom de famille, MARCILLAC place l’Aveyron loin devant la Dordogne et l’Hérault. La même remarque sera faite pour MARCILHAC  où l’Aveyron est département de référence loin devant le Lot.

ALBIGNAC est surtout connu dans le Tarn , le Tarn-et-Garonne et la Haute-Garonne. C’est surtout la variante ALBAGNAC qui met l’Aveyron en tête devant l’Hérault qui, par contre, comporte beaucoup d’AUBAGNAC forme avec passage à u de l avant consonne.

 

Des noms d’hommes latins donnés à des Gaulois

En fait le plus grand nombre porte des noms que l’on trouve à Rome.

u On y voit le cognomen, le surnom, évoquer ainsi le lieu d’origine (que ce soit une ville, ou une province) :

Ainsi de Florentinius de FLORENTIN-la-Capelle, rappelant le nom d’un jurisconsulte romain signifiant « originaire de Florence ».

De même, Lavinius de LAVIGNAC, rappelant  Lavinium ou Lavinum, ville fondée légendairement par Enée (aujourd’hui Pratica dans l’ancien Latium).

Et Flavinius,  de FLAVIN,  est à mettre en relation avec Flavinia, ville d’Etrurie (sans doute due à un membre de la famille des Flavius).

La Lucanie (province du sud de l’Italie) est représentée par  Lucanius de LUGAN. Pensons au poète Lucain.

Campanus > Campanius, originaire de la Campanie,  est donné par CAMPAGNAC.

Sabinius, surnom connu dans l’arbre généalogique de l’empereur Vespasien parce qu’issu d’une famille de notables municipaux du pays des Sabins, est représenté par SAVIGNAC.

Sabatius de SÉBAZAC représente peut-être Sabate en Etrurie.

Et enfin Collinus de GOLIGNAC (avec affaiblissement de c initial en g  bien connu en occitan ) est relatif à un quartier de Rome (la Collina : la contrée des collines).

Nous nous permettrons d’ajouter à cette liste un douteux Cartenna / Carcenna, ville de Mauritanie, dont le nom pourrait être représenté par Carcennus donné CARCENAC-Peyralès, ancienne commune du canton de Baraqueville.

Parmi tous ces noms, il faut signaler les patronymes SAVIGNAC bien connu sur le plan national et très bien représenté dans l’Aveyron qui en est le département de référence, FLAVIN que les phénomènes migratoires ont écarté des pays d’Oc, LUGAN peu présent dans l’Aveyron mais surtout dans le Tarn et le Lot, et CAMPAGNAC qui a l’Aveyron et l’Hérault pour départements de référence.

 

u Comme Silvanius de SALVIGNAC, le cognomen  peut se rattacher  à un nom de divinité : le dieu des forêts, le dieu Sylvain. Ce surnom est connu chez plusieurs membres de la famille Plautius. Le nom de famille SALVIGNAC n’est plus vraiment aveyronnais, mais sa variante SALVAGNAC met l’Aveyron en tête devant l’Hérault, l’Aude et le Tarn.

 

u Certains surnoms se rattachent à de hauts faits d’où l’individu a retiré soit un nom de pays, soit une épithète exaltant une vertu .

Le surnom Magnus « grand, important, remarquable » donné par MANHAC (avec nh pour le son « gn ») fut celui de Pompée.

On peut encore citer Victor « victorieux » devenu gentilice sous la forme Victorius et représenté avec VITRAC -en-Viadène.

Capitanus « capital » en bas latin et ayant rapidement évolué au sens de « chef » est donné par CAPDENAC (avec perte de la voyelle atone i interne).

Le nom d’homme Firminus sur firmus « ferme, constant » est donné par FIRMI (sans suffixe de propriété).

Verus « vrai, sincère » est donné par VEYRAC  nom de hameau de la commune d’Aguessac et nom de ferme de la commune du Luc.

Navius « diligent, actif, zélé »pour depref  est donné par NAJAC (où la dérivation  en acu  a déterminé  un yod développant une palatalisation en j : Naviac > Navjiac > Najiac > Najac).

A la même racine se rattache le dérivé en –icus : Navicius de NAUSSAC (NaviciacuNavici à donné  Nauss- après perte de la voyelle i de la seconde syllabe atone interne).

Le pays où l’individu a combattu et commandé est ainsi évoqué : Maurus > Maurius  de MAURIAC signifie du pays des Maures ; c’est-à-dire « l’Africain ».

Et Gallus « Gaulois » (nom sous lequel les Romains désignaient les Celtes) est un surnom connu dans les familles Sulpicius et Cornelius, non pas pour désigner des origines gauloises, mais pour évoquer un passé militaire ou administratif en Gaule.

Gallus > Gallius est donné par GAILLAC-d’Aveyron.

Quant à GALGAN il représente le dérivé Gallicanus « du pays des Gaulois, de la Gaule, Gaulois ». Le produit Galgan est dû à la perte du i  atone interne : Gallicanu >  Galiganu > Galgan.

Ce nom n’est pas en –ac : il est sans suffixe de propriété (fundus Gallicanus).

 

On retrouve ces noms dans les noms de familles d’origine. Ainsi de GAILLAC qui est fréquent dans l’Aveyron , avec prise de distance avec le Cantal. Par contre le Tarn qui a une ville bien connue se révèle à la portion congrue dans cette distribution. Les formes GALHAC et GAILHAC sont, quant à elles, héraultaises.

De même NAUSSAC a l’Aveyron  pour département de référence . Par contre VITRAC est peu rouergat et appartient à la Dordogne, à la Corrèze et la Gironde ; NAJAC est lui-même peu aveyronnais et est surtout tarnais et lotois.

 

u Beaucoup de cognomen ont trait à l’aspect physique ; en voici six d’entre eux :

Crassius < Crassus de GRAISSAC, surnom signifiant « gras : donc gros », fut connu dans la famille romaine des Licinius  (Remarquons encore une fois l’affaiblissement occitan du c initial en g).

Taurius de taurus « taureau = qui est fort comme un taureau » est donné par TAURIAC-de-Camarès.

Paulus « petit, faible » est connu dans la famille Aemilia. Il est représenté sous la forme d’un gentilice Paulius par PAULHE, sans suffixe de propriété : Paulia villa = domaine de Paulius. Paulia est ici une épithète : on dirait en bon français « domaine Paulien ».

Rullus « vagabond, qui se conduit comme un vagabond » est donné par RULLAC. Cette épithète est bien connue comme surnom romain.

C’est la couleur des cheveux : Russus « roux » dérivé en Russenus pour ROUSSENAC. C’est l’aspect général du brun à la peau mate donnée par Fuscus devenu gentilice sous la forme Fuscius, équivalent de nos Nègre ou Lenoir, représenté à FOISSAC. Ce surnom est connu de la latinité avec un nom de poète et grammairien (Aristius Fuscus) et un courtisan de Domitien (Cornelius Fuscus).

Aureus « doré » au sens de « beau, splendide » mais pouvant aussi exprimer la richesse (couvert d’or) est connu comme nom d’homme latin (Aurius) et est représenté par AURIAC-Lagast.

Au point de vue de la représentation de ces noms de lieux dans les noms de familles, il faut surtout signaler PAULHE qui a l’Aveyron pour département de référence devant le Tarn ; de même pour FOISSAC où l’Aveyron se maintient devant le Lot et le Tarn-et-Garonne. ; par contre, la forme FOUISSAC est héraultais. Quant au nom de famille AURIAC, il aligne le Cantal, l’Ariège et la Haute-Garonne devant l’Aveyron.

u Cinq nobles qualités morales sont données par

severus « sévère » (pensons au nom du taciturne empereur Septime Sévère)  est représenté par le nom des communes de SÉVÉRAC ;

privatus « privé, particulier »  peut-être au sens de « renfermé, silencieux » est donné par PRIVEZAC ;

asper « rude » pour Asperus > Asperius de la commune d’ESPEYRAC ;

gentus au sens de « poli », bien adapté au mœurs de son pays, est donné par le cognomen Gentius des formes anciennes de GISSAC où Gensac a évolué en Gessac > Gissac.

C’est ici le lieu de signaler le nom de hameau CANNAC de la commune de Durenque et, avec un seul n, CANAC hameau de la commune de Campagnac et aussi nom de quartier d’Onet-le-Château. Les deux n sont une constante dans les formes anciennes comme dans la prononciation traditionnelle du nom de lieu et du nom de famille qui en est issu. Mais comme pour Connac, la forme ancienne de Cannac montre une autre piste que la racine le plus souvent envisagée. On trouve la graphie Catnac dans les formes anciennes de Cannac de Durenque : le cartulaire de la Selve (Bernard de Catnac, vers 1160 ; R. de Catnac, vers 1175) ; et « Les plus anciennes chartes en langue provençale » de Clovis Brunel : lo capella de Catnac, vers 1170. Cela nous invite donc à écarter l’hypothèse canus « blanc » (bien souvent adoptée) pour envisager celle de Catonus, surnom connu dans la famille romaine des Porcius dont faisait partie le fameux censeur Caton l’Ancien (Marcus Porcius Cato). Le cognomen Cato est un dérivé de catus « avisé, fin, habile ».

Ainsi le dérivé de propriété Catonacu, perdant son o atone interne, est-il devenu Catnacu d’où Cannac.

Au point de vue des patronymes issus de ces noms de lieux, il arrive à SÉVÉRAC, ce qui est arrivé à Gaillac dans le Tarn. On voit SÉVÉRAC bien moins représenté (et de manière inattendue) dans notre département  alors qu’il prospère dans le tarn, l’Hérault et l’Aude. Par contre, ESPEYRAC est très aveyronnais, de même pour CANAC dont l’Aveyron est département de référence alors qu’avec 2 n, l’Hérault est département de référence de CANNAC.

u Des défauts sont notés par

bucco « bavard » devenu Buccus > Buccius représenté par BOUSSAC

cuppus « gourmand » a donné lieu au gentilice Cuppius demeuré sous fomre savante dans le nom de COUPIAC (s’il ne s’agit pas de Cuspius « maigre comme un clou [cuspis] suivant la forme la plus ancienne présentant un s).

Au point de vue des noms de lieux devenus noms de familles, BOUSSAC est lotois car il y a, dans le département du Lot, une commune de ce nom. Mais COUPIAC est très aveyronnais devant l’Hérault qui n’a pas manqué, une fois encore, de prendre son quota d’effectifs.

 

u Enfin l’état social est représenté par LE NAYRAC qui est un ancien Linariacu où apparaît linarius « ouvrier qui travaille le lin » ou linaria « atelier où l’on l’on travaille le lin ». Ici la syllabe initiale a été assimilée à un article ; d’où la mécoupure, la mauvaise coupure, isolant Nayrac.

Ce surnom a pu être un surnom traditionnel, mais nous pensons surtout à la possibilité d’une culture du lin dans les lieux en question. A noter le patronyme NAYRAC pour lequel l’Aveyron est un département de référence, loin devant l’Hérault et la Corrèze.

 

 

Ce toponyme dont le sens peut évoluer entre un nom de personne et un nom de culture agricole va nous servir de transition vers des noms de domaines évoquant la réalité (qu’elle soit naturelle ou artificielle).

 

u On aborde ici un volet des noms en -ac dont nous avons montré l’importance dans notre Dictionnaire où, à la suite de nombre d’autres spécialistes, nous avons montré que les noms de domaines gallo-romains en –ac (et autres formes) pouvaient évoquer la végétation  ou d’autres réalités.

Ainsi de ALTAYRAC , hameau des communes de La Roque-Sainte-Marguerite et Saint-Laurent-de-Lévézou, et ferme de la commune de Ségur représentant le latin altarium « autel du sacrifice » pour désigner un temple romain. Et, avec mécoupure isolant al initial, ou le conservant en rétablissant un supposé article : al Tayrac > lo Tayrac.

On a ainsi  le nom de la commune de TAYRAC, nom de commune, porté le Tayrac, en 1868,  dans le « Dictionnaire des noms de lieux habités de l’Aveyron de Jean-Louis Dardé. Et Le TAYRAC,  nom de 4 hameaux des communes de Broquiès, Réquista, Saint-Jean-du-Bruel et Sénergues, et lieu-dit à Saint-Christophe-Vallon, sans omettre Puech du Tayrac, dans la commune d’Alrance, montrent avec évidence la régularité avec laquelle cette mauvaise coupure a eu lieu. Le nom de famille TAYRAC est issu de ce produit toponymique. Il a l’Aveyron pour département de référence devant le Lot.

 

 

Nous consacrerons enfin le dernier volet de notre étude à des noms relevant du haut Moyen Age

 

Il faut savoir que l’usage du suffixe –ac (et autres formes suivant les régions des pays d’Oïl) ne s’est pas limité à la période gallo-romaine  et que, par-dessus celle des Grandes Invasions germaniques, il eut encore un effet de mode dans la toponymie du haut Moyen Age (VIe-VIIe siècles).

Ainsi l’ancien occitan noalha représentant le bas latin novalia « terres nouvellement défrichées » se trouve-t-il dérivé en –ac  avec NOAILHAC nom de commune et (sous diverses formes : sans i, avec ou au lieu de o, etc.) 4 noms de hameaux dans les communes de Lacalm, Entraygues-sur-Truyère, Sébrazac, Sévérac-le-Château, et 2 lieux-dits à Saint-Chély-d’Aubrac et Saint-Symphorien-de-Ténières. Le dérivé en –ac désigne ici le domaine des novales ou plus exactement le domaine nouvellement créé au milieu des défrichements. Nous n’avons pas de noms de familles NOAILHAC / NOAILLAC / NOUAILLAC aveyronnais. Il faut aller pour cela dans le Tarn, le Lot ou la Corrèze.

Notons à ce sujet, à titre d’information  les FALGAYRAC du Tarn (Brens, Gaillac, Anglès, Saint-Paul-Cap-de-Joux, Tanus) qui sont des dérivés de falguièra occitan « fougère », de même que fraisse occitan « frêne », reconnu dans le nom de famille FRAYSSAC / FREYSSAC de l’Aveyron et de la Corrèze issus de noms de lieux disparus mais encore conservés dans les FRESSAC du Gard (commune de Sauve) et de l’Hérault (commune de Mauguio).

Enfin CAYRAC, nom de 6 hameaux des communes de Castelnau-de-Mandailles, Foissac, Lacroix-Barrez, Sébrazac, Vitrac-en-Viadène, Sévérac-le-Château, représentent plus probablement, dans nombre de cas,  l’ancien occitan *cairac, dérivation en -ac, suffixe collectif, de caire « roche » au sens de « lieu rocailleux, gros rocher » qu’un hypothétique anthroponyme latin Carius.

 

 

En guise de conclusion

 

Voilà terminé ce point de général sur la toponymie gallo-romaine de l’Aveyron. Toponymie riche de noms de lieux gaulois et fort bien pourvue de noms de domaines gallo-romains. L’ensemble de ces zones de concentration humaine d’époque gallo-romaine a eu un bel avenir puisqu’ils constituent une bonne part des noms de communes du département (1 / 6e environ) et ne constituent qu’une petite part des noms de hameaux et lieux-dits.

 

 



07/07/2012
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